Mise au ban(c)

Hier, en entrant dans le prétoire, j’ai tenté une folie : je me suis installée sur le banc « réservé aux avocats ».

Quatre raisons à cette effronterie (et je vous entends déjà dire qu’elles sont forcément mauvaises, puisque de toute façon, l’intitulé est rédhibitoire : je ne suis pas inscrite au barreau, je n’ai pas à m’installer là, point) :

1) Les bancs du public étaient pleins à craquer.

2) Une fille en civil, visiblement trop jeune pour être avocate, s’était déjà permis cette audace.

3) Placé devant les bancs du public, on y voit beaucoup mieux.

4) Il y a une table et, pour dessiner, c’est quand même plus aisé.

Pour ma défense, j’ajoute que j’avais à l’esprit de demander une permission exceptionnelle aux policiers qui, d’ordinaire, veillent à la bonne tenue des audiences. Sauf que, venue du président de la République à Lille oblige, ils étaient tous mobilisés à l’extérieur ce jour-là.

Ça n’a pas raté : sitôt assise, j’ai vu l’huissier se déplier de sa chaise et fondre sur sur le banc des avocats comme un oiseau de proie. Drapé dans sa robe noire, mains dans le dos, avec sa silhouette osseuse et ses épaules voûtées, il m’a toute de suite fait penser à ces vieux instituteurs de la République, ceux que Péguy qualifiait de « hussards noirs ». Il s’est planté au-dessus de ma table. Que faites-vous ici ? J’ai éprouvé la sensation du cancre prise en faute. Avec, en même temps, le regret de ne pouvoir le griffonner, là, tout de suite, avec son visage émacié, sculpté de rides, son nez aquilin, et ses yeux perçants qui me fixaient par-dessus ses petites lunettes.

J’ai bredouillé : « Je suis journaliste… Je tiens un blog… Je fais des croquis… »

Son regard soupçonneux a fait un aller-retour de mon visage au carnet de croquis sur lequel j’avais à peine eu le temps d’esquisser trois traits. Sans répondre, il s’est tourné vers la jeune fille à côté de moi.

« Et vous ? »

« Je suis stagiaire au Palais. »

Il a eu un hochement de tête, et, faisant demi-tour, m’a une nouvelle fois jeté un regard.

« Je peux m’en aller, si vous voulez… », ai-je proposé. D’une moue, il a fait preuve de mansuétude. Ça ira pour cette fois.

Les heures ont passé. Les avocats ont rempli le prétoire, investi leurs bancs. L’un d’eux s’est assis sur la banquette à côté de la mienne. Un instant, nos regards se sont croisés. Il m’a souri. Il observait mon carnet de croquis d’un œil admiratif.

L’huissier s’est approché. J’ai envisagé mon expulsion imminente. L’avocat était debout, prêt à rejoindre son client que le tribunal venait d’appeler, et qui entrait menotté par la porte des geôles. Il détaillait le croquis que je venais de terminer. L’huissier l’a salué comme un vieux copain. Son regard est retombé sur moi. Puis sur mon croquis. Quand il a relevé la tête, son visage émacié était barré d’un sourire.

J’avais gagné ma place.

Bonne bouille

Ce doit être ma bonne bouille.

J’ai beau tout faire pour que les vigiles du TGI me suspectent, rien à faire, ils me donneraient le bon Dieu sans confession.

Je sonne au portique de sécurité.

– Vous avez une ceinture ?

– Oui.

– C’est bon alors.

Quant à mon sac à main fourre-tout…

– Pas d’objet tranchant, de bombe lacrymogène ?

– Pas à ma connaissance.

Pour prouver ma bonne volonté, je commence à l’ouvrir.

Et vois le visage du vigile se décomposer.

– Non mais je ne vais pas le fouiller, votre sac ! Vous pouvez y aller !

Je ne sais pas ce qui est le plus efficace pour amadouer un vigile : une bonne bouille ou un sac à main rempli de trucs féminins.